LOLA KHALFA

De l'air

BIBLIOTHÈQUE UNIVERSITAIRE
CAMPUS SAINT JEAN D'ANGÉLY

[exposition associée]
vernissage le vendredi 29.09 à 14h

Un flou algérien

« L’histoire de mon père n’a jamais été écrite » m’a dit la photographe Lola Khalfa.

L’écriture de l’histoire d’un pays n’est pas le fait d’un seul homme ou d’une seule femme mais d’une assemblée de personnes qui à un instant T décident de construire un passé commun pour mieux envisager l’avenir. Celle d’un homme ou d’une femme, qui plus est d’un père ou d’une mère, ne dépend que de quelques individus : un enfant, un proche, un curieux. Cette responsabilité infime mais immense, Lola Khalfa a décidé de la porter en s’intéressant à la mort inélucidée de son père. Raconter un homme, c’est raconter un pays dans son intimité, ses paradoxes, ses nuances. La série « De l’air » de Lola relève de l’enquête familiale mais pas seulement. Se plonger dans l’histoire de son père, c’est revenir sur la décennie noire en Algérie (1991-2002) qui a vu s’opposer islamistes et gouvernement militaire dans une guerre civile qui a fait entre cent mille et deux cent mille victimes.

Nous sommes dans les années quatre-vingt. Le père est syndiqué, la mère est professeure de français, elle ne porte pas le voile. Les deux sont engagés dans des associations socialistes et féministes. Ils vivent à Hjar-Eddis dans la dernière maison avant la montagne, là où resteront les rêves de Lola. Le vent tourne. Une décennie plus tard, un coup d’état a enclenché une guerre qui a ravagé et divisé le pays. Les islamistes commencent à frapper aux persiennes de la maison pour menacer les parents de Lola. Leurs activités politiques déplaisent, on leur reproche aussi de blasphémer. La mère se met à porter le voile pour éviter les remarques mais elle ne change rien à ses combats. Le père, lui, n’arrêtera jamais d’être celui qu’il est, de défendre les idéaux d’une « Algérie juste » et ces mots sont de sa fille. Le père meurt. La mère abandonne définitivement la maison près de la montagne. « Ce qui est passé est mort. On ne revient pas dessus » dira le président algérien Bouteflika quatre ans après la fin des hostilités à propos des massacres, des tueries, des disparus de ces dix années de guerre civile.

À côté des documents, des articles de presse, des archives familiales où l’on peut d’ailleurs voir la mère en maillot deux pièces à la mer, image qui la surprendra elle-même lorsqu’elle la reverra des années plus tard avec sa fille, il y a les photographies floues de Lola. Sa famille, son village, sa terre. Ce flou algérien en rappelle un autre, celui du photographe Bruno Boudjelal qui l’a consacré. Une manière de passer, d’être là sans être là, de ne pas figer l’histoire. On va, on revient, on repart. On interroge ses proches. On en découvre toujours un peu plus mais jamais assez. Lola, elle, a eu besoin de s’éloigner pour se rapprocher de son vécu. C’est à Marseille et même à Beyrouth lors d’une résidence artistique où elle travaillait sur un projet sur la communauté LGBT+ en Algérie qu’elle commence à se plonger dans la vie de son père. Sur ce passé, elle pèse ses mots pour en parler. Ses images viennent combler les silences, s’approcher d’une vérité sans jamais l’atteindre mais est-il seulement possible de l’atteindre ? L’histoire du père de Lola n’est pas encore écrite mais un jour le flou laissera place à la clarté, à la justice et c’est cet espoir que donne à voir le travail de Lola Khalfa.

Sabyl Ghoussoub

Cette exposition s’inscrit dans le cadre du projet Traits d’Union, atelier d’écriture commun entre Université Côte d’Azur et Aix-Marseille Université encadré par l’écrivain Sabyl Ghoussoub.
Commissaire d’exposition Sabyl Ghoussoub.

Ce projet a bénéficié d’une aide du gouvernement français gérée par l’Agence Nationale de la Recherche dans le cadre du Programme France 2030 au titre de l’IdEx UCA portant la référence n° ANR-15-IDEX-01.

Lola khalfa est une photographe documentaire algérienne basée entre Annaba et Marseille. Son travail remet en question les récits existants et historiques, offrant ainsi une représentation visuelle de la mémoire, des frontières et de la marginalité. Sa pratique artistique intègre une collaboration étroite avec des individus et des communautés, ainsi qu’une immersion profonde dans les lieux et les paysages. Elle a été nommée deux fois pour le Fonds de la Magnum Foundation, en 2015 et 2021. De plus, elle a bénéficié de résidences artistiques en France, à Cuba, au Pakistan, en Allemagne, en Tunisie et en Algérie. Ses travaux ont été exposés à Bamako, Paris, Alger et Cologne. En 2019, elle a été sélectionnée pour participer au programme Arab Documentary Photo.

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INFOS PRATIQUES

expo du 29.09 au 25.10
lun – dim : 10h – 20h

Campus Saint-Jean d’Angély
25 avenue François Mitterrand
06300 Nice